Leader et follower. Des termes
toxiques en danse à deux ?
La danse de couple est un art ancien qui a toujours reposé sur un équilibre subtil entre deux partenaires. Chacun a son rôle, mais aucun n’est supérieur à l’autre. Pourtant, depuis quelques années, certains milieux influents proposent de remplacer les termes traditionnels de danseur/danseuse ou cavalier/cavalière par les anglicismes leader et follower.
Ces mots, empruntés au vocabulaire du management et des réseaux sociaux, paraissent modernes et inclusifs. Mais sont-ils vraiment adaptés à l’esprit de la danse ? Ne risquent-ils pas, au contraire, de créer une hiérarchie artificielle et une forme de soumission entre les partenaires ?
Les bases traditionnelles de la danse de couple
Historiquement, on parlait de cavalier et de
cavalière ou
de danseur et danseuse. Ces mots, empruntés à l’univers de la courtoisie et du bal,
expriment politesse, respect et liberté et plaçaient naturellement les deux partenaires sur un
pied d’égalité.
• Le cavalier invitait, la cavalière acceptait : tout n’était que politesse, écoute et respect.
• Les rôles étaient certes genrés, mais ils n’étaient jamais figés : depuis longtemps, on voyait des femmes danser entre elles, l’une prenant le rôle de cavalier, l’autre celui de cavalière.
• Dans les clubs ou les soirées LGBT chacun choisissait son
rôle, sans contrainte de sexe ou de genre, et la terminologie
classique ne leur a jamais posé de problèmes.
Ainsi, la danse de couple était
déjà un espace de liberté et de choix. Chacun pouvait décider
quel rôle lui convenait le mieux, sans qu’il soit besoin de
déconstruire les mots existants.
Le véritable sens des rôles : communication et symbiose
Contrairement à une idée reçue, il n’y a pas dans la danse « un meneur qui commande » et « un suiveur qui obéit ».
Un bon danseur n’impose pas ses mouvements, il invite. Il écoute sa partenaire, il ressent son équilibre et sa disponibilité.
Une bonne danseuse, quant à elle, n’est pas passive : elle prolonge,
exprime et magnifie l’action proposée. Sa réponse influence la suite de la danse, qui devient un dialogue permanent.
Quand cette communication est réussie, les deux partenaires ne forment plus deux individus séparés, mais une
entité commune. La magie naît de cette symbiose : il n’y a plus de hiérarchie, seulement un partage de joie et d’émotion.
Pourquoi les termes Leader et Follower posent problème
Les nouveaux mots à la mode – leader et follower – viennent d’un tout autre univers : celui du management et des réseaux sociaux.
• Le leader, c’est le sachant, celui qui commande, qui entraîne, qui impose sa direction.
• Le follower, c’est celui qui suit, qui obéit, qui reste à l’arrière.
Ces définitions, tirées du Larousse et de l’Académie française, véhiculent une vision d’autorité et de soumission.
Appliqués à la danse, ces mots dévalorisent la partenaire, en particulier la femme, puisqu’ils la placent dans le rôle de celle qui doit suivre et se soumettre.
Ironie de l’histoire
: alors que l’on prêche aujourd’hui l’égalité entre les sexes et les genres, ces termes soi-disant modernes recréent une
inégalité flagrante !
De plus, vouloir imposer ces anglicismes pour faire plaisir à une minorité au nom de l’inclusivité aboutit paradoxalement à
cliver encore davantage.
En effet, 90 % des danseurs et danseuses pratiquent au sein de couples hétérosexuels. En remplaçant « danseur et danseuse » par « leader et follower », on suggère implicitement que la femme doit obéissance à l’homme dans la majorité des cas. C’est non seulement injuste, mais carrément rétrograde.
La richesse des termes traditionnels
Face à cela, les mots cavalier et cavalière, ou tout simplement
danseur et danseuse, conservent leur pertinence et leur élégance.
• Ils respectent la dignité de chaque partenaire.
• Ils n’impliquent aucune hiérarchie cachée.
• Ils s’appliquent aussi bien aux couples hétérosexuels qu’aux couples homosexuels.
Ces mots valorisent ce qui fait la beauté de la danse : un dialogue d’égal à égal, une invitation suivie d’une réponse, une liberté partagée.
La danse de couple est un art de la communication, de l’écoute et du partage. Elle ne se réduit pas à un rapport de domination ou de soumission.
En important les termes leader et follower, on introduit dans cet art une vision réductrice, hiérarchique et clivante, qui trahit son essence.
Au contraire, en continuant de parler de cavalier et cavalière
ou de danseur et danseuse nous affirmons que la danse est avant tout un espace d’égalité, de liberté et de joie.
Car au fond, lorsqu’un couple danse, il n’y a plus un qui guide et l’autre qui suit. Il y a seulement deux êtres en symbiose, transportés par la musique dans un moment précieux et joyeux.
Michel EGEA Professeur
principal de Studio 2000
Quelques souvenirs cocasses
« Je me souviens d’un élève qui guidait sa partenaire comme un conducteur qui tourne brutalement le volant. Résultat : elle perdait l’équilibre et se sentait mal à l’aise. Je lui ai dit : “Essaie moins fort, écoute-la.” Quelques minutes plus tard, le miracle s’est produit : elle a pu s’exprimer, lui a répondu, et la danse a pris vie. Voilà la magie de l’invitation, pas de l’ordre. »
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« Une fois, lors d’un stage dans lequel
j'intervenais, une jeune danseuse est venue se présenter :
– “Bonjour, je m'appelle Valérie et je suis
follower.”
Je n’ai pas pu m’empêcher de répondre en
souriant :
– “Moi, je préfère les danseuses qui dialoguent
plutôt que celles qui suivent.”
Elle a ri, et surtout, elle
a compris que ce rôle était tout sauf passif. »
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« Une fois, j’ai dansé avec une élève qui
avait très peu d’expérience. Au début, elle me disait : “Mais
je ne sais pas suivre, je ne suis pas une bonne follower.”
Alors je lui ai répondu : “Ne me suis pas… Écoute-moi, et
réponds-moi.”
En quelques instants, elle a trouvé sa
liberté. Et en dansant, je me suis dit : voilà, c’est ça, la
vraie égalité : un dialogue où chacun s’exprime.»